Histoire de l’église romane de Saint-Hippolyte, ancien doyenné de l’abbaye de Cluny.

Saint-Hippolyte était un doyenné : les doyennés avaient pour fonction essentielle l’approvisionnement en nourriture des centaines de personnes qui vivaient dans et autour de l’abbaye de Cluny.
Chaque doyenné de Cluny était dirigé par un doyen désigné par Cluny, assisté de quelques moines et de serviteurs pour la gestion des différentes activités ; le doyen exerçait également le droit de justice sur ses terres. Il ne reste malheureusement aucune trace du nom d’un doyen de Saint-Hippolyte…

Voici quelques faits et dates qui jalonnent l’histoire de Saint-Hippolyte :

Fondation de Saint-Hippolyte

Entre 999 et 1017, la charte clunisienne n°2493 nous apprend que Josserand (Jocerand) 1er  Gros de Brancion, sentant sa fin approcher, donne à l’abbaye Cluny, pour le salut de son âme, une église dédiée à saint Hippolyte, située sur le territoire de Mâcon.

Au début de l’année 1105, Saint-Hippolyte est mentionné en tant que doyenné, « obedentia de Sancto Ypolito », dans la charte clunisienne n°3829.

Un fait qui dénote l’importance de ce doyenné : le 8 février 1107, alors que Hugues de Semur (saint Hugues) est abbé de Cluny,  Saint-Hippolyte reçoit la visite du pape Pascal II, ancien bénédictin de Cluny ; le pape s’y arrête une journée complète, sur le chemin de Cluny à Beaune. (source : thèse Didier Méhu, « Paix et Communautés autour de l’abbaye de Cluny »)

Saint-Hippolyte, un doyenné de l’abbaye de Cluny

Vers 1155,  l’abbé de Cluny Pierre Le Vénérable fait réaliser un inventaire des doyennés,  dans le but d’améliorer leur rendement et leur gestion. Cet inventaire nous permet de connaître précisément les revenus et la production d’une dizaine de doyennés (Laizé, Beaumont, Malay, Saint-Hippolyte, Chaveyriat, Saint-Martin, Berzé, Arpayé, Montberthoud,  Saint-Gengoux, Lourdon ).

Le document  « Constitucio expense cluniaci »,  établi par Henri de Blois, qui fut moine à Cluny puis évêque de Winchester, fait état, pour Saint-Hippolyte, de 7 moulins et d’une production essentiellement de céréales, mais aussi de foin, de bois, de semences pour l’hiver, avec une trentaine de bœufs (‘5 chars avec chacun 6 bœufs’), des veaux, des ânes, des porcs, des volailles, et de vin (un nouveau clos venaient d’être planté sur le territoire de Saint-Hippolyte, sachant qu’ à l’époque romaine, les vignes étaient plantées surtout en plaine, et qu’elles ont été plantées sur les coteaux par la suite).

Les trois quarts des ressources du doyenné étaient acheminés vers l’abbaye de Cluny, avec 3 dates principale : à la Saint-Martin (11 novembre), la Saint-Vincent (22 janvier), la Saint-Jean-Baptiste (24 juin); le reste était consommé sur place.

Constitutio expensae cluniaci (cliquer pour consulter le texte en latin)

production doyennés (source : Annales de Bourgogne 1980, Alain Guerreau – cliquer pour agrandir le tableau)

calendrier des travaux au moyen age -rustican -1306  (Rustican, calendrier des travaux agricoles, vers 1306  de Pietro de’Crescenzi)

Le nombre des doyennés dépendant de l’abbaye de Cluny a varié dans le temps, au gré des donations faites à l’abbaye :

Carte des doyennés Clunisois vers 1320 (extrait de « Doyennés et granges de l’abbaye de Cluny. Exploitations domaniales et résidences seigneuriales monastiques en Clunisois du XIe au XIVe siècles « (Jean-Denis Salvèque , Alain Guerreau , Pierre Garrigou Grandchamp) -1999) – Cliquez sur la carte pour l’agrandir :

carte des Doyennés et granges de l'abbaye de Cluny vers 1320 (J-D Salveque, D Mehu)

L’étendue du doyenné

On ne dispose pas d’informations précises sur la délimitation du territoire du doyenné.
Le cœur du doyenné est désigné sous le terme de ‘château’, sans doute composé de l’église fortifiée, entourée de murailles, avec 2 tours, englobant des bâtiments de logements, des granges et avec une porterie.
 Le territoire du doyenné, à son apogée – si on se réfère aux écrits d’Henri de Winchester -,  incluait les 3 paroisses de Bonnay, Cormatin, Cortevaix.
On peut estimer qu’avec ses 7 moulins, il s’étendait le long de la Guye, approximativement du moulin de Messeugne au nord, au moulin de Crouzot au sud. Saint-Hippolyte exploitait aussi plusieurs étangs dans la vallée de la Guye.
Le vignoble de Montrachet (actuellement sur Messeugne) était propriété des moines de Cluny, et faisait  peut-être partie du doyenné de Saint-Hippolyte à une certaine époque.
Les terres de Montagny (Saint-Ythaire) sont également mentionnées comme faisant partie du doyenné.

A l’occasion de la rédaction de la candidature de Saint-Hippolyte à la liste « Cluny et les Sites Européens Clunisiens, candidature Unesco », les contours du doyenné ont été reconstitués à partir des mentions « rentes de Saint-Hippolyte » trouvées sur les plans terriers des archives départementales :

La fortification de Saint-Hippolyte

Saint-Hippolyte constitue le témoignage unique d’un doyenné fortifié, à l’allure d’un donjon dominant le confluent de la Guye et de la Grosne, visible de très loin :

En 1214, après plus de 150 ans de contestations depuis la création du doyenné,  Josserand Gros de Brancion signe un traité de paix avec Cluny concernant Saint-Hippolyte (chartes 4481 et 4482) : il abandonne tout droit sur ce lieu, reconnait Cluny comme unique possesseur du domaine, et autorise à y construire des fortifications, allant même jusqu’à déclarer qu’il ne mettrait aucun obstacle à la création éventuelle d’une ‘ville franche’ (« Si autem apud Sanctum Ypolitum ecclesia Cluniacensis villam francam fecerit, homines Joceranni vel hominum suorum ibi non poterit retinere« )

C’est entre 1214 et 1319 que l’église est transformée en forteresse, sans doute en plusieurs étapes : le clocher est englobé dans un massif rectangulaire ressemblant à un donjon, la muraille du collatéral Nord est rehaussée, au dessus du niveau du toit de la nef, d’un rempart crénelé, derrière lequel courait un chemin de ronde. Une tour ronde, totalement ruinée subsiste à l’angle Nord Est; cette tour est, semble-t-il, antérieure  aux fortifications.

En 1319, Saint-Hippolyte est désigné sous l’appellation ‘Castrum Sancti Hippolyti‘, dans un document de visite des doyennés de Cluny.

Ainsi fortifié, le doyenné compte, avec Lourdon, Bézornay, Mazille, Boutavan et Écussoles parmi les six forteresses que l’abbaye de Cluny possède dans un rayon de 20 km. Il s’agit d’une pièce stratégique du dispositif domanial des moines dans le Nord-Clunysois.

Mais en y regardant de plus près, cette fortification, bien qu’imposante, est illusoire : en effet, il n’y a pas de réel dispositif de défense, peu de meurtrières dans le donjon. Cette fortification n’avait, semble-t-il, pas d’autre but que d’affirmer la puissance de l’abbaye de Cluny et de défier les châtelains voisins d’Uxelles et de Brancion, avec lesquels les querelles étaient incessantes pour le contrôle du pouvoir sur le territoire environnant.

Le déclin

On ne connait pas précisément la date de l’effondrement du toit de la nef de Saint-Hippolyte. Peut-être  l’édifice avait-il été fragilisé par le séisme qui a ravagé la ville de Bâle en 1356 ? En effet, dans ce hameau, les tremblements de terre sont ressentis de manière particulièrement intense, si l’on en croit les témoignages contemporains, sans doute en raison de la structure géologique du terrain.

En 1441, Saint-Hippolyte, malgré ses fortifications, est occupé quelque temps par une bande d’Écorcheurs (troupe armée, ainsi désignée par la population, parce que pratiquant le pillage, le rançonnement pour leur propre compte, mais aussi pour le roi Charles VII ) ;
à cette époque, les moines ont déjà quitté Saint-Hippolyte, mais ne le vendront qu’au XVIIe siècle.

écorcheurs (canat) (cliquer pour agrandir – source : Marcel Canat de Chizy- Documents inédits pour servir à l’histoire de Bourgogne, par la sté d’histoire et d’archéologie de Chalon-sur-Saône, extrait du registre des délibérations de la commune de Mâcon)

Le 26 juillet 1481 : un « terrier » décrit l’état de délabrement du domaine de Saint-Hippolyte, qui est ‘tout en ruine’  :

« le chasteaul du dit Sainct- Ypolite, lequel est du tout en ruine et quasi inhabitable pour faulte de réparation, auquel chasteaal est située l’église parrochiale, laquelle a grand besoin de réparer, tant en bois que en muraille, et aussy audit chasteaul a une grange en laquelle a un treul (pressoir), laquelle a grand besoin de recouvrir, et est quasi la moitié toute découverte, et le treul est quasi tout rompu. » (source : Jean Virey ‘Les églises romanes de l’ancien diocèse de Mâcon’)

En 1587, pendant la 8ème guerre de religion, le pape impose le clergé français pour réparer en partie les ruines et pertes subies; pour payer la somme demandée, l’abbaye de Cluny vend plusieurs domaines, dont l’étang de Saint-Hippolyte :

vente étang St-Hippo (cliquer pour agrandir –
source : abbé Léonce Raffin et Louis de Contenson, Annales de l’académie de Mâcon, T15, 1910)

Vers 1580, Saint-Hippolyte quitte définitivement l’obédience de Cluny, lorsque ses terres  sont vendues par Claude de Guise, abbé de Cluny, à un propriétaire privé, Messire Leonard de Semur, seigneur de Trémont, dont la principale résidence était le chateau de Sercy.
Les fonds récoltés serviront notamment à l’entretien et la réparation de la forteresse de Lourdon. Voici un texte qui relate la vente :

Aliénation du domaine et seigneurie de Saint- Ypolite par l’abbé de Cluny au sieur de Tresmon (source : Jean Virey): « messire Claude de Guise, abbé et général administrateur pour la conservation de son abbaye, la nourriture et l’entretien d’un grand nombre de religieux en icelle, lesquels y ont toujours résidé sans avoir manquement d’aucune chose, que aussi pour la garde et défense du château de Lourdun, place très importante pour la sûreté et conservation de la dite abbaye (…), le 20 août dernier l’abbé et les religieux décident de procéder à la vente et engagement de la terre et doyenné de St Ypolite comme moins utile et commode, n’étant le revenu d’icelle que de 100 livres par an (…) , le château d’iceluy doyenné étant entièrement démoli et inhabitable depuis cinquante ans, en ça n’y ayant aucune grange, étable, etc., ni autres couverts quelconques étant du tout ruinés et démolis (…), la dite vente sous grâce de rachat perpétuel comme dit est, et ce pour le prix et somme de 2.400 livres. »

Le 25 juin 1609 : un dénombrement précise que l’église est ruinée et découverte depuis fort longtemps, le nouveau propriétaire n’ayant effectué aucune réparation, hormis la couverture en lave d’une tour, et que seul le chœur est encore debout :

« Premièrement un château toultes fois à présent ruiné, démoli et démantelé de ses murailles des côtés de matin et vent, n’ayant en tous les bâtiments d’iceluy en état qu’une tour sur le matin et vent, laquelle le dit seigneur a depuis naguère fait recouvrir à lave en dedans l’enclos du quel château est l’église du dit Saint-Hypolite ruinée et descouverte entièrement dès fort longtemps, sauf seulement le chœur d’icelle qui est encore debout et une partie d’iceluy du côté du matin au droit des autels seulement couvert de la voûte, et quant au couvert d’icelle voûte est la plupart descouverte, et le reste de ladite église en devers soir descouverte entièrement dès longtemps » (source : Jean Virey)

On peut voir Saint-Hippolyte sur la carte de Cassini, établie au XVIIème siècle :

Aynard4-cassini1.jpg

Par la suite, en utilisant la partie intacte du chœur et du transept, et en condamnant les arcades de communication entre le transept et la nef, Saint-Hippolyte est transformé en ‘chapelle’.

En 1746, Saint-Hippolyte dépend de la paroisse de Bonnay : les visites pastorales de l’archiprêtré du Rousset par Monseigneur Lort de Sérignan, évêque de Mâcon, décrivent  son état, « où la pluie transpire en abondance et pourrit la voûte »  : visite pastorale 1746 -Saint-Hippolyte (cliquer pour accéder au document)

En 1780, la chapelle continue à être utilisée comme lieu de culte : dans une « supplique adressé à l’évêque de Mâcon par M Nonin, curé de Bonnay, pour obtenir la suppression des pèlerinage à Saint-Hippolyte« , on peut lire que la messe y est dite tous les lundis, mais que ces jours-là la cour est remplie de boutiques, boulangers, cabaretiers, et que pendant la messe, on entend que cris, murmures,…  (source : Marthe Dubois « Bonnay, un village qui a 1000 ans »)

Pendant la révolution, dans un mouvement général de déchristianisation, à partir de l’an II, soit 1793 (et jusqu’en 1801), le village de Saint-Hippolyte est débaptisé en  « Mont Verrier ». C’est à cette même époque que le village a été rattaché à Bonnay.

Au milieu du XXème siècle,  l’église ruinée fait partie d’une exploitation agricole et est utilisée comme grange à foin :

bonnay st Hipplyte avant         ruines eglise base mistral- memoires 11 - Tillet

Le Renouveau de Saint-Hippolyte

Le 10 septembre 1913, l’église est classée Monument Historique, grâce à l’intervention de l’archéologue Jean Virey ; en 1927, les Monuments Historiques consolident son clocher qui menace de tomber.
Ensuite, l’œuvre de destruction reprend, l’église étant envahie par la végétation.

Depuis l’été 1971, grâce aux chantiers ‘REMPART’, elle fait l’objet de  campagnes de restauration.

En 2003, la commune de Bonnay devient propriétaire de l’église en la rachetant à un particulier, pour 1 euro symbolique.
L’association Le Renouveau de Saint-Hippolyte, créée la même année, participe à la conservation du monument.